LE DERNIER CARRÉ DES GORILLESC

LE CONTRÔLE DES NUISIBLES Dans un certain nombre de régions, les gorilles sont considérés comme une espèce nuisible aux cultures. Les plantations de bananes sont particulièrement vulnérables - bien que les gorilles n’en consomment que rarement. Au lieu de cela, ils déchirent le plant entier et ne mangent que la moelle, plus nutritive. Sans sur- prise, les agriculteurs ne les aiment pas vraiment, et si l’agriculteur a accès à une arme à feu, il pourrait tout à fait tirer sur ces rava- geurs de cultures. Dans les régions où la viande de gorille est con- sommée, cela procure le double avantage de non seulement pro- téger l’approvisionnement de la famille en bananes (ou le revenu provenant de la vente de celles-ci) mais aussi de fournir jusqu’à 200 kg de viande qui peut alors être consommée fraiche ou fumée, et partagée ou vendue ( voir encadré ). Les protéines ainsi obtenues sont la plupart du temps considérées comme une compensation naturelle à la perte encourue. Il est probable que les abattages de gorilles à des fins de contrôles des nuisibles augmentent lorsque des zones où ils vivent à l’état Le braconnage des grands singes dans le but de fournir les marchés urbains en viande devient de plus en plus fréquent et concerne toutes les espèces. Bien qu’aucune recherche systéma- tique et interspécifique n’ait été entreprise pour mesurer cette augmentation, ni aucune évaluation de la quantité de viande de brousse à travers toute la gamme d’une seule espèce de grands singes, la collection d’anecdotes et d’études de cas ci-dessous nous donne une idée de l’étendue et de la gravité de la situation. Nous avons rencontré Ashley Vosper, qui a recensé les grands mammifères dans la région de Maringa Lopori (Province équato- riale). Il était frappé de voir que la forêt était étrangement vide de grande faune sauvage, mais conservait une population impor- tante de bonobos (Pan paniscus). Il nous demanda « Est-ce en raison des tabous entourant la chasse? Si c’est le cas, combien de temps dureront-ils encore ? ». Plus à l’est, la situation était moins réjouissante. Avant la guerre, Lingomo Bongoli, habitant du village d’Iyondje, avait travaillé sur les bonobos avec le chercheur japonais Daji Kimura. Durant les dix ans de conflit, il a récolté des informations sur le tabou de la consommation de bonobo chez son peuple, les Bongando. Il s’aperçut que ce tabou s’estompait peu à peu sous l’influence des bandes successives de militaires et de miliciens qui n’hésitaient pas, eux, à tuer et à manger les bonobos. Extrap- olant à partir des trois mois d’observation réalisées le long des points de passage, on peut estimer que chaque année, 76 000 animaux étaient alors acheminés vers Kindu, la plupart séchés et fumés puis entassés sur des vélos (jusqu’à 50 kg de viande par vélo). Cette quantité de viande était extraite d’une zone for- Chimpanzés et bonobos

estière d’env. 6 000 km² et chaque année, plus de 225 carcasses de bonobo arrivaient sur le marché à viande de Kindu. Ce rythme de chasse n’est en aucun cas durable pour les bonobos ou tout autre grand mammifère vivant en forêt. Le long du fleuve Congo, les bonobos cèdent la place aux chim- panzés. Ainsi, une étude menée sur plusieurs années dans le nord de la RDC par Thurston Hicks et al. (Soumis à African Primates, 2010) documente la rupture des tabous entourant l’alimentation à base de viande de chimpanzés. Avec le développement du secteur minier informel (principalement d’or et de diamants), la chasse à la viande de brousse et le massacre des chimpanzés dans le but de les vendre sur les marchés à viande des villages miniers ont conduit les chimpanzés orphelins au centre de ce commerce. Sur 18 mois, Hicks et ses collègues enregistrèrent 42 orphelins à vendre ou détenus comme animaux de compagnie. Après la fin des tabous, la principale cause de la baisse de la quantité de viande de brousse se trouve être le déclin de la popu- lation de grands singes à un niveau si bas que la chasse n’est plus profitable, voire plus viable. C’est le cas dans de grandes régions peuplées de bonobos au sud de Kisangani, au nord du Kasaï-Ori- ental et dans les provinces situées au sud de l’équateur. Renforcer l’éducation de masse au sujet du statut d’espèces protégées dont bénéficient les grands singes est la meilleure façon d’infléchir tant soit peu cette tendance dramatique, en remplaçant ainsi les tabous par le respect du droit. La répression est nécessaire pour garantir un impact sur le long terme. De même, le renforcement des frontières des aires protégées est aussi essentiel et requiert, lui aussi, une certaine rigueur. L’agriculture de défrichement par le feu et la hache (aussi connue sous les noms de cultures itinérantes ou cultures sur brûlis, au cours desquelles un morceau de terrain est dégagé, exploité du- rant quelques années puis abandonné de nouveau à la forêt) est pratiquée depuis des millénaires en Afrique centrale. En présence de faibles densités humaines, et associée à un cycle de rotation assez long, ce type d’agriculture modèle le terrain en une mosa- ïque de forêt primaire, de clairières d’élevage, de terres en jachère caractérisées par une forte croissance des plantes herbacées, et de morceaux forêts secondaires recolonisés. Tout cela forme un paysage dont la biodiversité peut entretenir une saine population de gorilles. Par le passé, les pertes engendrées lorsque les gorilles traversaient les cultures et se servaient étaient compensées par la grande disponibilité de fourrages de haute qualité. Maintenant que la concurrence pour le partage de la terre entre les hommes est dev- sauvage deviennent terres agricoles. Ce phénomène n’est pas nouveau.

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