LE DERNIER CARRÉ DES GORILLESC

LA STRUCTURE DES RÉSEAUX D’ENTREPRISE

Les exemples cités tout au long du présent rapport permettent de reconstituer la structure de certains des réseaux d’entreprise qui ont une responsabilité directe dans les atrocités perpétrées en RDC et dans l’exploitation des habitats de la faune. Il n’y a pas de struc- ture organisationnelle standardisée, mais on peut décrire certaines tendances dans leur façon de s’organiser et dans leurs pratiques opérationnelles (CSNU, 2001; PNUE, 2007). La présence de marchés dépourvus de tout sens critique implique qu’il se trouvera des acheteurs pour tous les biens vendus au juste prix, peu im- porte la façon dont ils ont été produits, transformés ou transportés. Il est assez facile et habituel pour les sociétés commerciales de construire leurs réseaux politiques par la sélection avisée de di- recteurs non exécutifs et en maintenant des relations profitables à tous, au niveau d’anciens membres du conseil d’administration ou d’anciens PDG qui sont devenus ensuite hauts fonctionnaires ou décideurs gouvernementaux. Ces arrangements peuvent deve- nir moins innocents lorsqu’une société et un fonctionnaire, quelle que soit leur relation, partagent un secret issu de leur passé com- mun, comme d’avoir tiré profit de campagnes militaires dans des zones riches en ressources naturelles. Cela peut avoir impliqué une activité mal intentionnée, légale ou non – il y a des journali- stes d’investigation assez bien informés pour faire connaître ce genre d’histoire, de façon à ce que le public le moins curieux et le moins averti le remarque ; il est rarement bien vu de se faire remarquer avec une histoire de type « armes contre pétrole » dans le monde des entreprises. Les secrets partagés sont ainsi de puissants facteurs de cohésion pour les sociétés et leurs réseaux politiques. Le bûcheronnage illégal peut être dirigé par des sociétés qui n’ont pas le droit de cité dans la région, mais aussi par des détenteurs de concessions légales, qui agissent de plusieurs façons différentes. Les titulaires de concessions peuvent surexploiter les terres qui leur sont octroyées, ou ils peuvent exploiter des zones au-delà des limites de leurs terres. En Indonésie, l’expérience a montré que les concessions ont étendu leurs opérations illégalement dans des zones protégées et en dehors de la zone concédée, et on a observé

la même chose en RDC (Curran et al., 2004). Le bois d’œuvre ou les produits du bois peuvent être passés en contrebande en dehors du pays ou même transportés ouvertement via les postes fron- tières, avec l’appui de soldats ou de gardes de la milice (CSNU, 2001 ; 2008), ou vendus et transportés comme s’ils provenaient d’une concession légale. Pour éviter le traçage international du bois d’œuvre ou des produits du bois, les marchandises changent souvent de propriétaire à de multiples reprises pendant le tran- sit. Ainsi, lorsque le bois arrive à sa destination finale, son pays d’origine n’est plus le pays de production réel. On peut saisir l’étendue de la contrebande en comparant les chif- fres officiels des exportations des minerais et du bois d’œuvre et les chiffres réels, qui sont bien supérieurs (CSNU, 2008). Il est possible que les chiffres officiels soient sous-évalués de 50 à 80% dans tout le bassin du Congo. On a observé une structure très similaire dans l’exploitation forestière illégale en Indonésie par exemple (PNUE, 2007). Dans ce cas, les chiffres des importations de nombreux pays y compris la Chine, Taiwan et la Malaisie, pour n’en mentionner que quelques-uns, sont généralement loin au dessus des chiffres officiels indonésiens des exportations (Schro- eder-Wildberg et Carius, 2005 ; PNUE, 2007). Encore une fois, le pillage et la destruction du biotope des gorilles est un problème international, avec des réseaux multinationaux agissant ouvertement, alors que la protection des parcs est avant tout un problème de répression. Encore une fois, l’application de la loi nécessite la formation, le financement et particulièrement la coordination transnationale avec le système judiciaire, les douanes et une collaboration internationale pour dévoiler toutes les étapes de la criminalité internationale de la source à l’utilisateur final. Les sociétés qui achètent en connaissance de cause des ressourc- es exploitées illégalement se rendent par le fait même complices d’actes criminels.

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