Droughts in the Anthropocene
Lac Tchad – Un travail collaboratif pour combattre la sécheresse
Le lac Tchad est un écosystème productif mais fragile d’une importance capitale pour les pays limitrophes (Cameroun, Nigéria, Niger et Tchad), car il fournit des moyens de subsistance à près de 30 millions de personnes [1]. La région est extrêmement pauvre et de plus en plus vulnérable ; explosion démographique, dégradation des terres, pollution et conflits accroissent les contraintes exercées sur les ressources de la région et leur gestion. La diminution rapide de la superficie du lac Tchad, passée de 22 000 km 2 dans les années 1960 à 1 700 km 2 à peine en 1985 [2], est devenue un symbole de la dégradation de l’environnement. L’idée selon laquelle la disparition du lac Tchad serait le résultat de perturbations anthropiques telles que l’irrigation ou de changement climatique s’est répandue parmi la communauté scientifique et le grand public [3]. Toutefois, aucun de ces facteurs n’a joué de rôle déterminant. La disparition du lac serait essentiellement due à deux sécheresses prolongées qui se sont produites dans les années 1970 et 1980, mettant fin à une période humide où les niveaux d’eau étaient au plus haut [4]. La transformation profonde et imprévue du lac a eu des effets dévastateurs sur la société, l’économie et l’environnement des pays environnants. Les sécheresses ont joué un rôle fondamental dans l’évolution de l’utilisation des ressources du bassin du lac Tchad. D’importantes migrations internes ont eu lieu vers le lac en raison de mauvaises récoltes et de l’aggravation de la pénurie d’eau. La population autour du lac a ainsi triplé, passant de 700 000 habitants en 1973 à 2,2 millions à ce jour [5]. Faute d’évolutions agricoles durables permettant de subvenir aux besoins de cette population, la pression s’est accrue sur des ressources qui s’épuisaient déjà. Les tensions entre différents pays et communautés ont donné lieu à des conflits liés aux ressources qui ont entravé la gestion et l’accroissement de ces dernières [5]. Les variations de superficie du lac Tchad dans le temps s’inscrivent dans un processus constant et de grande ampleur ; toutefois sa superficie moyenne s’est stabilisée
autour de 8 000 km 2 depuis 2000 [2]. Bien que ce « phénomène de disparition » ne se soit pas encore matérialisé, les problèmes de développement et les sécheresses menacent toujours de faire passer la région d’une situation de vulnérabilité aiguë à un état de crise. La faible profondeur du lac provoque des variations fréquentes de sa surface entre la saison humide et la saison sèche, et entraîne son rétrécissement ou son agrandissement pendant de longues périodes. Les communautés se sont depuis longtemps adaptées à ces changements saisonniers, passant de la pêche durant la saison humide à l’élevage ou à l’agriculture lorsque l’eau se retire [2]. La variabilité du lac pose des difficultés à la fois sur le plan du développement et de la sécurité alimentaire, et la transformation à long terme de sa surface mettra en péril la viabilité de certains moyens de subsistance. Par conséquent, le suivi des conditions hydrologiques et l’alerte rapide en cas d’évolution de ces dernières pourraient appuyer les actions destinées à atténuer les chocs climatiques tels que les sécheresses et à s’y adapter. Afin de promouvoir le développement durable aux fins de réconciliation et de paix dans la région du lac Tchad, l’UNESCO a conçu une intervention multisectorielle et multidisciplinaire dans le cadre du projet BIOsphère et PAtrimoine du Lac Tchad (BIOPALT) mis en œuvre au Cameroun, en République centrafricaine, au Tchad, au Niger et au Nigéria. Le système de suivi régional des inondations et des sécheresses, élaboré par l’Université de Princeton, l’Université de Southampton et Princeton Climate Analytics en collaboration avec le PHI pour le bassin du lac Tchad, est un outil essentiel d’appui à la gestion des ressources et permet une meilleure compréhension des dynamiques hydrologiques. Pour pallier l’insuffisance et le manque de fiabilité du réseau de surveillance des sols qui font obstacle à l’obtention d’informations précises et de prévisions actualisées, ce système utilise des données
satellitaires obtenues par télédétection. Il fournit des informations en temps quasi réel sur les sécheresses et les inondations qui modifient la surface du lac Tchad. En outre, il offre des prévisions à court terme ou saisonnières afin de permettre la prise de décisions concernant la gestion des ressources et des risques. Ces informations sont essentielles dans des systèmes dynamiques tels que le lac Tchad, car elles permettent de mieux informer les communautés sur la situation actuelle, leur donnant ainsi la possibilité de s’adapter afin d’en réduire les effets. La nature transfrontière du système de suivi permet un partage ouvert de l’information entre pays voisins, ces interactions étant actuellement limitées mais indispensables pour cerner les répercussions potentielles de nouveaux projets de barrage ou d’irrigation. Le système de suivi joue également un rôle important dans la compréhension des effets du changement climatique sur la région. La capacité à surveiller l’évolution du lac dans le temps sera fondamentale pour confirmer les signalements de changements d’intensité et de période des événements climatiques. En partenariat avec le programme Systèmes de savoirs locaux et autochtones (LINKS), l’Association des Femmes Peules Autochtones du Tchad (AFPAT) a mené des recherches communautaires avec les pasteurs autochtones du peuple peul MBororo. Compte tenu de l’importance cruciale du lac dans leurs moyens de subsistance, ces pasteurs ont acquis une connaissance approfondie de son écologie et de son hydrologie. Conservées dans la mémoire collective et transmises au moyen de récits oraux, ces connaissances permettent de réaliser des évaluations complexes de l’état et des ressources du lac. L’intégration de ces connaissances aux systèmes de suivi peut aider à fournir des données localisées et un contexte historique qui permettront de produire des projections et des informations en temps réel. Par ailleurs, ces savoirs peuvent renforcer l’utilité des systèmes de suivi car ils permettent d’établir un lien entre les événements climatiques et hydrologiques et leur influence sur le bien-être social, culturel et économique.
AFRIQUE
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